Quand elle n’était qu’une petite fille dans la réserve Blood, au sud de l’Alberta, Shantel Tallow regardait les aînés préparer la nourriture avec les produits de la chasse et de la cueillette à la façon traditionnelle des Blackfoot. « Je garde au fond de moi ces leçons sur le respect des ingrédients et de la nourriture, observe-t-elle. Elles ont contribué à faire de moi ce que je suis aujourd’hui ».
Shantel Tallow et son associé, Paul Conley, font partie d’une nouvelle génération de cuisiniers autochtones déterminés à préserver et à partager la culture culinaire de leurs ancêtres. Leur entreprise de Calgary, Aahksoyo’p Indigenous Comfort Food, commence à prendre de l’ampleur au moment où le Canada essaye de se réconcilier avec un passé colonial difficile et que les Canadiens découvrent sous un jour nouveau les aliments et les cultures des Premières Nations. (Aahksoyo’p signifie « Nous allons manger » en Blackfoot.)
La bannique, un pain éclair fait de farine, de poudre à pâte et d’eau, en est un des plats les plus reconnaissables.
La bannique, un pain éclair fait de farine, de poudre à pâte et d’eau, sauté sur le fourneau ou cuit au four ou au feu piqué au bout d’un bâton, en est un des plats les plus reconnaissables. Comme le faisait son grand-père, Shantel cuit le mélange et le retourne afin qu’il croustille des deux côtés.
Elle fait sécher le flanchet de bœuf et l’ajoute dans le pemmican, un délicieux mélange de viande, de baies du Saskatoon (parfois de canneberges) et de graisse. Ce processus dure 4 jours : elle découpe d’abord des tranches, puis les fume pendant deux jours pour ensuite les laisser sécher une journée.
« J’ai commencé à faire ça, parce que je voulais retrouver un aliment de réconfort de ma jeunesse. C’est pour moi ce que faisaient ma grand-mère et mon grand-père, des plats comme un hamburger en sauce, des pommes de terre et la bannique. C’est simple et c’est bon. »
Cuisine de rue autochtone
Mr. Bannock, la première cuisine mobile autochtone, a débuté son activité en 2018 avec des créations de son propriétaire, le chef Paul Natrall, de la nation Squamish, et de son équipe. La carte de leur camion propose un choix de plats à base de bannique, un burger de saumon au barbecue et des tacos au chili faits maison.
C’est ce que le chef Natrall appelle de la « cuisine de rue autochtone. Nous nous concentrons sur les aliments et les modes de cuisson traditionnels que nous adaptons à d’autres cuisines. Nous adorons créer et voir ce que nous pouvons faire avec les ingrédients frais à disposition. »
Quand un autre pain est utilisé dans une recette, le chef Natrall se sert de la bannique à la place. « Ce pain est tellement polyvalent. » Leur bannique gaufrée est un pain non pas sauté, mais cuit dans un moule à gaufre.
Le service se fait dans un camion blanc et rouge rutilant, décoré de baies, de courges, de maà¯s et de fèves par l’artiste heiltsuk KC Hall. « Il y a beaucoup d’intérêt et de soutien pour ce que nous faisons, et la couverture médiatique nous a beaucoup aidés », remarque le chef Natrall.
Une envie de tradition
Des établissements de restauration autochtones apparaissent partout au Canada, que ce soit des cuisines mobiles, des traiteurs ou des restaurants. Selon Technomic, la cuisine autochtone correspond à deux tendances importantes : elle répond à la demande en matière de cuisine du monde et en même temps présente l’intérêt d’utiliser des ingrédients locaux et nationaux.
Technomic prédit que « les concepts liés à des ingrédients et des recettes authentiquement et intégralement autochtones continueront à voir le jour puisque l’intérêt des clients pour la cuisine des Premières Nations augmente ». La plupart des ingrédients longtemps utilisés par les autochtones sont maintenant redécouverts par une nouvelle génération de chefs qui les cuisinent avec des techniques modernes pour garnir les assiettes. Ils ouvrent la voie au renouveau de traditions culinaires délaissées et au réveil de l’histoire collective.
Simplicité et création
En travaillant avec les membres de la nation Songhees, le chef David Roger, directeur du restaurant Songhees Seafood & Steam, a conçu une carte à partir d’ingrédients frais locaux qui reprennent les techniques des recettes traditionnelles en y ajoutant une touche de modernité. « C’est une cuisine simple, un retour aux bases, à laquelle j’ajoute des variations », déclare-t-il. « Beaucoup de marinade, beaucoup d’ingrédients fumés, des denrées fraîches et locales, préparées en fonction de la saison. »
Parmi les plats servis dans une cuisine mobile de la nation Songhees, dans les faubourgs de Victoria ou à l’occasion d’événements, vous pouvez déguster la poutine à la poitrine de bœuf fumée, le pâté de caribou, les saucisses de gibier, les burgers de bison, la salade de saumon et la bannique et sa confiture. Si possible, ils récoltent aussi eux-mêmes les ingrédients, comme les orties de leur potager sur le toit.
Qu’est-ce que la nourriture autochtone ?
Cela comprend un grand nombre d’aliments récoltés et préparés par les membres des Premières Nations du Canada, depuis le saumon du littoral jusqu’au bison des plaines. La cuisine traditionnelle autochtone prône l’équilibre avec l’environnement, redonne à la terre, respecte la vie et ne gaspille rien en cuisinant tous les morceaux.
Quels plats et ingrédients sont considérés comme autochtones ?
En font partie les produits de la chasse, les poissons et les fruits de mer, les baies, les champignons, les herbes et les fleurs récoltés localement. (Dans la plupart des provinces, les produits de la chasse ne peuvent pas être servis à des clients, et la viande d’orignal, qui est pourtant un produit de la chasse de base pour les Premières Nations, ne peut donc pas être utilisée en restauration.)
Parmi les plats les plus répandus, on trouve la bannique (le pain), le pemmican (un mélange concentré de viande, de graisse et de baies), le riz sauvage Ojibwé, la chaudrée de saumon, le chili aux produits de la chasse, les tacos Nehiyaw et le pâté de bison.
Comment les restaurateurs peuvent-ils ajouter des plats autochtones à leur carte ?
Commencez par une entrée simple comme la bannique accompagnée de confiture de Saskatoon servies dans panier posé sur la table, recommande la chef Shantel Tallow. Une soupe de baie, avec des produits saisonniers de Saskatoon, est un mélange simple d’eau, de baies, de sucre, épaissi avec un peu de farine. « C’est bon chaud ou froid, et c’est un excellent détoxifiant. »
S’inspirer des produits frais locaux
- Respecter la façon traditionnelle de chasser et de cueillir en choisissant des ingrédients locaux. Suivre le cycle des saisons
- Remplacer les ingrédients comme le fromage et la farine de blé par des fèves, du maà¯s et des courges
- Pratiquer une agriculture durable et réduire les pertes en utilisant l’intégralité de l’animal abattu
- S’amuser et avoir du plaisir. Tenter les clients avec des créations combinant les ingrédients traditionnels avec les goûts culinaires internationaux